Introduction — pourquoi cet arrêt compte
La décision rendue par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 9 juillet 2025 (n° 24-19.647) modifie sensiblement la façon dont les tribunaux apprécient les prêts immobiliers libellés en devises étrangères (notamment en francs suisses). Elle impose une lecture plus ample du « risque » pesant sur l’emprunteur et renforce l’exigence d’information et de transparence du prêteur.
Rappel factuel et juridique de la décision
Dans le pourvoi n° 24-19.647 la Cour a considéré que, lorsqu’un prêt est consenti en devise étrangère, l’analyse du risque de change ne peut se borner au seul horizon de la conclusion du contrat : il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que de leur évolution raisonnablement prévisible jusqu’à son terme, afin d’apprécier si les clauses litigieuses offrent la transparence nécessaire au consommateur. Par voie de conséquence, des clauses relatives aux modalités de remboursement ou au mode de conversion peuvent être regardées comme abusives si elles ne mettent pas clairement en lumière le risque réel pouvant peser sur l’emprunteur.
Ce que dit (et ne dit pas) l’arrêt — points clés à retenir
- Appréciation dynamique du risque : le risque de change s’apprécie au regard non seulement de la situation au moment de la signature, mais aussi des évolutions raisonnablement prévisibles pendant la durée du prêt.
- Obligation renforcée d’information : le prêteur doit présenter au consommateur une information complète et transparente sur les conséquences potentielles des clauses de change et de conversion.
- Accès à la nullité : l’insuffisance d’information ou l’existence de clauses manquant de clarté peut conduire à l’annulation du contrat ou à la reconnaissance du caractère abusif de certaines stipulations.
- Portée pratique : l’arrêt est particulièrement significatif pour les emprunteurs résidents en France ayant financé un bien situé en France par un prêt libellé en devise étrangère — y compris pour des frontaliers ayant perçu des revenus en devise au moment de la signature.
Conséquences pratiques pour les emprunteurs
- Vérifier les contrats : relire les clauses relatives au montant exprimé en devise, au mode de calcul de la mensualité et aux modalités de conversion en euros.
- Conserver les documents précontractuels : simulations, brochures d’information, échanges écrits avec la banque — ils serviront de preuve sur la qualité de l’information fournie.
- Consulter un avocat spécialisé : si l’emprunteur subit un renchérissement significatif ou si l’information semble lacunaire, la voie judiciaire peut être envisageable.
Ce que doivent anticiper les établissements de crédit
- Renforcer la documentation précontractuelle : explications claires et chiffrées du risque de change.
- Adapter la politique commerciale : proposer, le cas échéant, des mécanismes de couverture ou des alternatives.
- Former les conseillers : s’assurer que les commerciaux peuvent expliquer les conséquences à court, moyen et long terme d’un prêt en devise.
Stratégies pratiques (check-list) — emprunteurs et praticiens
Pour un emprunteur qui veut savoir s’il a des chances d’obtenir gain de cause :
- Rassembler le contrat, les fiches d’information et les projections fournies.
- Relever toute formulation ambiguë ou absente sur le risque de change.
- Examiner si l’évolution prévisible rendait l’exposition significative.
- Consulter un avocat pour une première évaluation de recevabilité.
Limites et questions ouvertes
L’arrêt fixe un principe d’appréciation plus large mais ne détermine pas une règle automatique d’annulation : la nullité dépendra de l’examen concret (profil de l’emprunteur, clauses précises, documents remis). Chaque affaire reste factuelle.
Conclusion — un tournant mais pas une substitution de l’analyse factuelle
Le 9 juillet 2025 (n° 24-19.647) marque un changement d’optique important : le juge demande désormais une appréciation dynamique et prospective du risque de change et renforce l’exigence de transparence du prêteur. Ce revirement ouvre des voies nouvelles pour les emprunteurs mécontents de l’information reçue, tout en imposant aux banques d’améliorer leurs pratiques.
